Représentation annuelle du cours de théâtre des secondaires
- 27 mai 2015
- Publié par : Mathieu Lecacheur
- Catégorie : Établissement
“Le vent dans les branches de Sassafras” de R. de Obaldia, mise en scène Pierre Turlur.
Samedi soir Saya, Lou, Yukimi, Kisa, Mio, Megumi, Maya, Ulysse, Maris-Line, Nora, Maya, Jean-Baptiste et Balthazar nous ont régalés avec leur pièce de théâtre ! C’était exceptionnel ! BRAVO !
Accueillis par Monsieur le Consul et l’Institut français, les élèves de secondaire ont joué leur pièce de théâtre devant un public conquis de parents, enseignants et amis. Plus de 80 personnes étaient présentes.
La pièce de R. de Obaldia écrite en 1965 prend le contre-pied du Hollywood d’après-guerre qui dans ses westerns glorifie les aventureux cow-boys et méprise les Indiens barbares.
Dans “Du vent dans les branches de Sassafras”, le Nouveau Monde rêvé n’est qu’une “vieille bicoque, rafistolée de toutes parts” où abonde whisky et femmes – forcément – de mauvaise vie. Les Indiens emplumés s’expriment avec une grammaire douteuse et les cow-boys sont des êtres vulgaires à la gâchette facile.
Tout cela est la caricature – à peine exagérée ? – d’un Ouest sauvage exalté par tout un pays, miroir d’un camp en ces temps de Guerre Froide.
L’humour est là depuis les flatulences jusqu’aux clichés poussés à l’extrême car R. de Obaldia se moque, se moque de tous et de tout.
Pierre Turlur, le metteur en scène, professeur de français et de philosophie au LFK, a choisit la pièce pour allier pratique de la langue et expression corporelle. C’est en expérimentant la langue française, en l’utilisant en situation qu’on s’approprie peu à peu tout le cadre formel, toute la théorie vue en classe. Le jeu de théâtre est un moyen pour les élèves de faire vivre la langue lue pour les sortir d’une connaissance scolaire parfois trop abstraite. L’humour du texte de R. de Obaldia prend alors le contrepied du sérieux nécessaire à l’étude pour leur faire découvrir, autrement le Français.
PRESENTATION DE L’ŒUVRE PAR P. TURLUR
Du vent dans les branches de Sassafras
ou d’une généalogie du Capital
Alors que le vieux monde se réveille encore tout endolori au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que la vielle Europe pulvérisée ramasse son miroir brisé et relève péniblement ses ruines, l’Amérique triomphe et défie l’ours soviétique. La guerre froide fait rage, et Hollywood, arme de propagande de choix, est plus que jamais la vitrine illuminée du rêve américain. Distillant une mythologie qui exalte les valeurs de l’Amérique traditionnelle, le cinéma glorifie l’Ouest et ses pionniers: le courage, l’honneur et le patriotisme de ces soldats combattant les mauvais indiens, ces brutes forcément sauvages à la mauvaise grammaire, ou les vilaines troupes mexicaines quand à Fort Alamo la résistance texane s’organise. Trappeurs, aventuriers rêveurs, chasseurs de bisons, cowboys à la gâchette facile, renégats, desperados et hors-la-loi, bandits romantiques, colons bucoliques, pasteurs courageux, femmes dévouées, jeunes filles naïves, c’est toute une galerie de portraits idéalisés qui défile sur les pellicules en noir et blanc puis en Technicolor des grands studios. Depuis le cirque jadis monté par Buffalo Bill qui exhibait ses indiens domestiqués et grimés à l’Europe subjuguée, l’Amérique de la conquête de l’Ouest fait encore et toujours recette, elle fait surtout mirage. La trace des charriots et du chemin de fer, l’odeur de la poudre, le lit des rivières semées d’or, les silhouettes de Monument Valley, les canyons vertigineux, la Vallée de la Mort et la majesté du Mississippi sont autant de chemins qu’empruntent les rêves frileux d’un Occident désenchanté. L’Amérique racole, fait le trottoir cinématographique, en fourguant ses dollars, ses shérifs, ses saloons, ses Winchesters et ses Colts, toute une quincaillerie, tout un bazar qui hantent désormais l’imaginaire des grands et des moins grands. John Ford et Howard Hawks donnent au Western ses lettres de noblesse. L’Amérique fait son cirque sous les feux de la rampe: quand des brunes décolorées jouent les blondes écervelées au décolleté fatal, des actrices blondes aux yeux bleus jouent les squaws à grand renfort de teinture et de maquillage. Faux monde. Hollywood est plus que jamais une machine à faire et vendre du rêve, à donner de pitoyables vessies pour de fabuleuses et mirifiques lanternes.
1965. Obaldia n’est pas dupe. On ne la lui fait pas. Il décide d’écrire un opus comique. Il prend le parti de se moquer, passe Hollywood à la moulinette rabelaisienne et saisit tous les clichés du pays de l’Oncle Sam en s’amusant de la généalogie putride et déglinguée de son pédigrée douteux: les filles sont forcément de mauvaise vie, les lupanars pullulent, les épouses se révèlent lubriques, le sexe mène la ronde, la promiscuité est de rigueur, les colons superstitieux jurent en se signant, les alcooliques déchus cuvent, l’hypocrisie est contagieuse, les indiens sont tous à plumes, les trains à vapeur et bien sûr pétrole et whisky coulent à flot… tout y passe et trépasse, Obaldia fait feu de tout ce bois. Ici, c’est le vent qu’Obaldia fait entendre. La voix du vent qui agite tout ce monde. Un vent qui passe et ne laisse rien de durable derrière lui. Pour Obaldia, le nouveau monde est une vieille bicoque, rafistolée de toutes parts et ouverte aux courants d’air. Le ranch n’a pas fière allure dans les litanies des Rockefeller. Ainsi va la généalogie du Capital, l’origine des espèces et des liquidités: du vent, quelques beaux rots et éructations sonores, des flatulences légendaires…tout le bruit que fait en crachant une bande de désaxés en goguette.
P.Turlur, avril 2015.